François Purseigle

Sociologie des mondes agricoles

Syndicalisme agricole

Comprendre l’engagement syndical et professionnel des jeunes agriculteurs

1998-2003

Pendant près de cinq ans, mes activités de recherche en sociologie ont été centrées sur les processus d’entrée dans l’action collective. Ces travaux ont porté sur l’engagement des jeunes agriculteurs dans les organisations professionnelles agricoles.

Construction d’un nouveau modèle analytique

Si mon projet a rencontré les préoccupations de la profession agricole, il n’en demeure pas moins que mon objectif premier était la construction d’un modèle d’analyse original alliant rigueur théorique, pertinence méthodologique et ancrage dans les terrains d’enquêtes.

Face à des modèles d’analyse qui nous semblaient assez réducteurs, j’ai souhaité proposer un modèle permettant d’allier paradigme « utilitaire » et paradigme « identitaire ». Outre la volonté de dépasser certains clivages théoriques, ce pari heuristique répondait aussi à deux objectifs complémentaires. Le premier était de rompre, tout en s’appuyant sur elles, avec le cadre descriptif des approches historiographiques qui ont pendant de longues années réduit la jeunesse agricole à un référentiel mythique. Ceci devait me conduire, dans un deuxième temps, à considérer les jeunes agriculteurs comme des acteurs à part entière de la scène professionnelle agricole. Cet objectif me semblait d’autant plus important que les jeunes agriculteurs sont trop souvent réduits, tant par les sociologues de la jeunesse que du rural, à de simples agents des mobilisations collectives, ou à de simples destinataires des politiques publiques.

Cette vision de l’engagement professionnel comme un simple passage à l’acte, à travers l’unique canal de la militance, occultait les différences dans l’intensité et la fréquence de participation des agriculteurs à l’action collective professionnelle. Tenants d’une interprétation fondée sur la mobilisation des ressources ou structuraliste, les chercheurs avaient rarement appréhendé le caractère différencié et dynamique de l’entrée dans l’action collective. Adossé à de nouveaux modèles empruntés à la sociologie politique (F. Passy, 1998, N. Mayer et O. Filleule, 2001) j’ai donc proposé une grille analytique facilitant la lecture de l’ensemble des étapes du processus d’engagement professionnel des jeunes agriculteurs. Plus précisément, la construction de mon modèle d’analyse permet de prendre en considération la manière dont des acteurs, en phase de socialisation, déploient des outils pour faire face à la crise identitaire qui affecte leur profession. Considérant l’engagement professionnel comme un processus articulé autour de différentes dimensions mobilisées conjointement ou indépendamment dans le temps et dans l’espace (adhésion, responsabilisation, mobilisation, participation), j’ai construit un modèle portant à la fois sur les cadres structurels et intentionnels dans lesquels s’inscrit l’entrée dans l’action collective. Pour ce faire, deux niveaux d’analyse ont été privilégiés : le système exploitation-famille et le système professionnel. Dès lors, la construction d’un tel schéma analytique permettait d’embrasser dans une même démarche les déterminants, mais aussi le vécu qui caractérisent l’engagement des jeunes agriculteurs. En somme, il s’agissait de mettre en perspective les logiques d’identification et d’expérimentation qui définissent aujourd’hui les formes prises par l’entrée dans l’action collective professionnelle. Cependant, si les cadres d’identification et de l’expérimentation oscillent en permanence entre système d’exploitation-famille et système professionnel, ils n’en demeurent pas moins enchâssés dans des cadres territoriaux qui confèrent à l’engagement professionnel son caractère spécifique.

Des résultats qui confortent nos hypothèses et ouvrent de nouvelles perspectives

Tout d’abord, mes résultats d’enquête montrent que, loin de se limiter à une transmission intergénérationnelle linéaire, les engagements professionnels peuvent aussi donner à voir des parcours définis par la discontinuité familiale. Ainsi, nous avons démontré que l’entrée dans l’action collective professionnelle ne repose pas uniquement sur une simple identification à des références familiales, mais est également le fruit des changements socio-économiques et politiques qui s’imposent aux jeunes. L’exploitation agricole constitue l’espace principal de cette confrontation. Qu’il s’agisse des itinéraires de la continuité ou de la rupture, l’exploitation est le terrain d’une négociation permanente entre le jeune agriculteur et l’héritage dont il dispose (une proposition de typologie figure dans la thèse). Cette négociation, qui détermine les champs du possible en matière d’engagement, s’inscrit dans les stratégies des différents membres de la famille. Toutefois, les ruptures qui marquent la transmission d’une mémoire professionnelle collective ne témoignent pas uniquement des changements qui s’opèrent au sein des familles agricoles. A travers une étude des profils des jeunes agriculteurs, ainsi qu’à l’issue d’une étude des principaux référentiels de l’enseignement agricole, j’ai également mis en perspective les difficultés rencontrées par les autres « lieux de socialisation » dans la transmission des symboles d’une profession en mutation.

Copyrigth Georges Million pour Les sillons de l'engagement Dessin 1

Par ailleurs, après avoir délimité les cadres structurels et les logiques d’identification, j’ai souligné le fait que la génération actuelle des jeunes agriculteurs ne refuse pas l’engagement, mais qu’elle souhaite prendre le temps de s’engager. L’engagement professionnel s’apparente bien à un processus expérimental dont les multiples dimensions (participation, adhésion, mobilisation, responsabilisation) font l’objet de recombinaisons variables dans le temps. En établissant des préférences, les jeunes agriculteurs apparaissent comme des acteurs qui façonnent progressivement, à travers des engagements sélectifs, les processus de socialisation qui les affectent. En prenant parfois trop précocement certaines responsabilités, le temps de l’expérience n’est souvent plus respecté. La préservation ou l’augmentation d’un rythme de fréquence de participation à des réunions soutenu nécessite le respect d’une période durant laquelle les jeunes vont pouvoir découvrir progressivement leur exploitation et l’univers des organisations professionnelles.

Copyrigth Georges Million pour Les sillons de l'engagement Dessin 2

En outre, j’ai pu vérifier que l’engagement professionnel n’est souvent que l’une des dimensions d’un engagement citoyen. Il doit être appréhendé comme le fruit d’une expérience reposant sur une approche globale du territoire dans lequel les jeunes exercent leur métier. Comme nous avons pu le vérifier à travers les résultats d’une analyse textuelle des discours, la dimension citoyenne de l’engagement professionnel passe par l’intégration de problématiques dépassant largement les questions agricoles. C’est notamment le cas des jeunes membres de la Confédération Paysanne qui développent des représentations de l’engagement syndical tournées vers la construction d’un projet de société. Pour ces jeunes, l’engagement s’apparente à l’exercice d’une activité agricole inscrite dans la mise en application d’un projet global territorialement situé et dont les dimensions s’articulent à l’interface du métier et de la société. C’est une tension permanente, une recherche d’équilibre, qui nourrit leur représentation de l’engagement.

Copyrigth Georges Million pour Les sillons de l'engagement Dessin 3

Ces travaux ont fait notamment l’objet en 2004 d’une publication sous le titre Les sillons de l’engagement. Jeunes agriculteurs et action collective chez L’harmattan avec le soutien de l’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire.



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